le point scientifique sur le Covid-19
Maladie encore mystérieuse, le Covid-19 n'en finit pas de surprendre les scientifiques. Parmi les nombreuses énigmes, celle de savoir pourquoi certains tombent gravement malades, avec des détresses respiratoires aiguës pouvant conduire au décès, quand d'autres s'en sortent avec des symptômes bénins, intrigue particulièrement. Si des variations individuelles existent pour la plupart des maladies infectieuses, les expliquer dans le cadre du coronavirus SARS-CoV-2 s'avère essentiel. Pour mieux cibler les personnes à protéger en priorité, par un confinement plus strict, par exemple. Et bien sûr, pour découvrir des traitements efficaces.
"Il reste énormément de choses à comprendre, en un temps record, pour trouver des solutions et sauver le plus de vies possible", souligne le Pr Olivier Hermine, coresponsable de l'essai clinique Corimuno-19 (AP-HP, Inserm). De nouveaux facteurs de risques, de nouvelles hypothèses, sont évoqués presque chaque jour. Tous restent à confirmer. Il faudra aussi savoir comment ils s'imbriquent, lesquels pèsent davantage, et chez quels patients. Car ce qui se dessine au fil du temps, c'est surtout la variété des mécanismes impliqués, sans doute différents à chaque étape de la maladie, et donc l'immense complexité de cette nouvelle pathologie.
Pour pénétrer jusqu'au coeur de nos cellules, le virus Sars-Cov-2 a besoin de serrures : des récepteurs à la surface des cellules, appelés ACE2, auquel il arrime ses pointes. "Or plus on vieillit, plus ces récepteurs sont présents", remarque le Dr Benjamin Davido, infectiologue à l'hôpital de Garches (AP-HP). Impliqués dans la régulation de la tension artérielle, ils seraient également surexprimés chez les diabétiques de type 2.
De quoi, peut-être, expliquer la corrélation constatée entre le risque plus élevé de faire une forme grave de la maladie et l'âge, ou encore l'hypertension et le diabète (eux-mêmes par ailleurs plus fréquents chez les seniors). Et ce n'est pas tout : "La voie biologique dans laquelle ACE2 intervient est également activée dans les tissus graisseux des personnes obèses. La présence du virus pourrait renforcer l'inflammation et contribuer à l'orage inflammatoire dans cette population également, même si on ne sait pas encore si le virus infecte le tissu adipeux" , indique le Pr Karine Clément, vice-présidente de l'Association française d'étude et de recherches sur l'obésité.
Au début du mois de mars, une équipe de chercheurs chinois avait émis l'hypothèse selon laquelle deux souches différentes du coronavirus Sars-CoV-2 seraient en circulation. Le type "S" aurait évolué pour donner le type "L", plus violent et contagieux, et serait désormais rencontré dans environ 70 % des cas déclarés de coronavirus. Ce travail n'a pas été confirmé depuis."Une autre étude a évoqué de multiples mutations, mais sans démontrer qu'il s'agirait de nouvelles souches ni qu'elles provoquaient des effets cliniques différents", indique Enrique Casalino, directeur médical au groupe hospitalier universitaire Paris Nord Université (AP-HP).
Par ailleurs, une étude très récente de l'Université de Cambridge aurait mis au jour trois souches différentes circulant dans le monde. Même si rien, à ce stade, ne permet d'affirmer que différentes souches engendrent différentes sévérités, il est néanmoins possible d'émettre des hypothèses à partir des connaissances disponibles sur les autres virus, indique encore le Dr Casalino. Ces derniers peuvent en effet développer des mutations associées à des facteurs de virulence, de gravité ou de transmissibilité, à l'image de la grippe saisonnière.
"Pendant un temps, elle donnait énormément de douleurs musculaires, puis elle s'est mise à provoquer plutôt de la fièvre et des maux de crâne et, l'année d'après, se montrer très mortelle chez les personnes âgées", illustre le chercheur. Cette piste continue donc de faire l'objet d'investigations dans le cas du Sars-Cov-2.
La sévérité de la maladie chez certains patients peut-elle s'expliquer par l'importance de la charge virale - le nombre de copies d'un virus - dans l'organisme ? "Si vous m'aviez interrogé il y a une semaine, j'aurais été plus nuancé. De nouvelles données semblent pourtant soutenir cette hypothèse chez certains patients, mais pas tous !", admet Enrique Casalino.
Un premier groupe de malades développant des formes sévères serait constitué de personnes âgées, immunodéprimées, ou prenant des médicaments qui affaiblissent l'immunité. "Ces patients ne vont pas contrôler l'infection, et avoir une charge virale importante, qui va détruire les tissus", précise le Pr Djillali Annane, chef de service de la réanimation de l'hôpital de Garches. Des dommages qui causeraient directement l'aggravation de la maladie. "L'immuno-sénescence chez les personnes âgées est connue, et il est envisageable que les facteurs de risque d'aggravation varient selon l'âge", confirme le Pr Odile Launay, infectiologue à l'hôpital Cochin (AP-HP).
Si ce schéma - un système immunitaire déficient, un virus qui flambe - est habituel dans les maladies infectieuses, il ne concernerait en réalité qu'une partie des malades graves du Covid-19. "Ce qui fait la particularité de cette pathologie, c'est au contraire une réponse explosive et inadaptée du système immunitaire", affirme le Dr Davido. Un deuxième groupe de patients serait donc en réalité victime d'une "tempête de cytokine", une réaction inflammatoire trop importante. En cause, peut-être, des anticorps qui, au lieu de nous défendre, pourraient faciliter l'invasion des cellules par le virus, même si ce phénomène reste globalement encore mal connu.
"Par exemple, on ne sait pas avec certitude s'il s'agit des mêmes patients - qui font d'abord une réponse trop faible puis trop importante - ou de groupes différents, ni quelles molécules inflammatoires sont impliquées, même si l'interleukine-6, une cytokine, paraît jouer un rôle important", avance Eric Vivier, du centre d'immunologie de Marseille-Luminy (AP-HM, Innate-Pharma), qui a lancé l'étude Explore Covid-19 afin de "disséquer" cette réponse immunitaire. Même ambition à Gustave-Roussy, centre de cancérologie où travaillent de nombreux experts de l'immunité, qui vont employer la technique dite de "single cell" (étude de cellules uniques) pour regarder au niveau cellulaire lesquelles se trouvent impliquées dans la production de molécules inflammatoires et pour quelles raisons.
C'est une hypothèse que les Chinois et les Italiens n'avaient pas repérée. Elle a émergé après une alerte britannique et semble confirmée par les premières informations collectées en France par le registre du Réseau de recherche en ventilation artificielle (REVA) : "Plus de 40% des patients en réanimation seraient obèses, ce qui est très inhabituel", constate Matthieu Schmidt, coordinateur de l'étude Covid-19-ICU, et membre de Reva. Dès lors, la question se pose : l'obésité est-elle, en elle-même, un facteur de risque du Covid-19 ?
Des travaux très récents d'une équipe de chercheurs lillois semblent le confirmer : "L'analyse des caractéristiques des 124 premiers patients admis en réanimation au CHU de Lille nous a permis de démontrer que l'obésité est bien un facteur de gravité de la maladie, indépendant du diabète, de l'âge, ou de l'hypertension", répond le Pr François Pattou, coauteur avec le Pr Merce Jourdain de la première étude publiée sur le sujet, dans le journal Obesity.
Reste à en comprendre les mécanismes. "Ces patients peuvent avoir des problèmes respiratoires, mais aussi de coagulation, et il se trouve que ce virus augmente le risque d'embolie pulmonaire. Ils souffrent aussi d'une inflammation chronique, qui leur conférerait une fragilité immunologique, mais cela reste à démontrer", note le Pr Karine Clément, vice-présidente de l'Association française d'étude et de recherches sur l'obésité. L'effet de leur microbiote particulier et des molécules pro-inflammatoires libérées par les cellules graisseuses pourraient ainsi être en cause.
"En revanche, rien ne dit que leur mortalité sera plus élevée que celle des autres patients. En temps normal, leur passage en réanimation n'est pas associé à un taux de décès plus important, mais simplement à une durée plus longue de séjour", souligne le Pr Alexandre Demoule, chef du service de médecine intensive et réanimation de La Pitié-Salpêtrière et président du conseil scientifique du réseau de recherche REVA.
Le constat est bien établi : les hommes représentent une majorité des hospitalisations et donc des décès dus au Covid-19. "Mais nous ne savons pas pourquoi", avertit le Pr Demoule. La réponse pourrait, là aussi, venir de l'analyse des données du registre REVA : "Nous pourrons peut-être déterminer si cet écart est lié à une différence biologique entre hommes et femmes, à des maladies chroniques plus fréquentes chez les hommes ou plus simplement au mode de vie", avance le professeur.
La consommation de tabac pourrait aussi jouer. A moins que les femmes ne bénéficient d'un système immunitaire plus robuste. "Il est possible de spéculer sur certains récepteurs de l'immunité, dit Toll-Like, qui sont portés par le chromosome X - la femme en a deux, l'homme un seul - et sont très importants dans les réponses immunitaires antivirales, détaille le Pr Eric Vivier. Il faudrait idéalement le vérifier dans des études cliniques."
Les hormones pourraient aussi être impliquées :"Le gène qui code pour un autre récepteur important dans l'infection est sous leur dépendance. Est-ce que des hormones masculines en trop grande quantité jouent dans l'aggravation de la maladie ?", s'interroge Fabrice André, à Gustave-Roussy. Pour le savoir, les experts de ce centre de lutte contre le cancer vont regarder si les patients bénéficiant d'un traitement anti-hormonal afin de traiter une tumeur de la prostate font moins de complications du Covid-19 que d'autres...
L'aggravation des symptômes peut-elle être liée au groupe sanguin ? Cette piste, évoquée dans une étude préliminaire chinoise, a suscité quelques remous dans la communauté scientifique. Pour l'instant, aucune donnée suffisamment solide ne permet de tirer des conclusions. Il faudrait d'abord vérifier les groupes sanguins des personnes qui ont succombé au Covid-19, afin de déterminer si l'un d'eux résiste mieux.
"Cela ne me semble pas improbable, car les différents groupes sanguins traduisent en réalité des différences génétiques et ces dernières peuvent expliquer de degrés de résistances divers", note Enrique Casalino. "Il faudrait effectuer des explorations plus précises que celles menées sur les groupes sanguins afin d'identifier précisément les différences génétiques qui nous protègent", poursuit le chercheur.
D'après les informations du réseau REVA, presque un quart des patients admis en réanimation en France ne présente aucun facteur de risque connu. Pour comprendre pourquoi ces malades, souvent jeunes et sans antécédents médicaux, se trouvent si durement atteints, les chercheurs se penchent du côté de la génétique. "Des mutations prédisposant au déclenchement de formes graves de maladies infectieuses ont déjà été identifiées par le passé, et nous regardons à présent ce qu'il en est pour le Covid-19", indique le Pr Jean-Laurent Casanova, rattaché à l'Institut Imagine et à l'Université Rockefeller, aux Etats-Unis.
Une vaste étude internationale a été lancée sous l'égide de ce chercheur dès février. Des travaux qui profiteront à tous : "Les mêmes mécanismes, affectés par une mutation chez ces patients jeunes, pourraient être déréglés par une maladie chronique ou le grand âge chez d'autres malades", explique le Pr Casanova.
D'autres projets démarrent ailleurs dans le monde : "Une initiative internationale vise à rassembler toutes ces données de séquençage, car il faut des populations très larges pour découvrir d'éventuels variants génétiques protecteurs ou aggravants", note Fabrice André, à Gustave-Roussy, qui va s'intéresser au gène codant pour le récepteur ACE2. "Il est possible que des variants de ce gène facilitent l'entrée du virus", ajoute Fabrice Barlesi, directeur médical du même établissement. Ce qui expliquerait que des familles entières se retrouvent parfois hospitalisées en même temps, comme le rapportent régulièrement des réanimateurs... "Il serait surprenant que ce soit dû uniquement à la malchance", glisse le Pr Djillali Annane, à Garches.
La perspective d'un remède miracle, capable de guérir à lui seul tous les malades, s'éloigne chaque jour un peu plus. Certains patients, dont le système immunitaire est affaibli, auront besoin d'antiviraux ou d'immunostimulants afin de combattre le virus et empêcher sa réplication. D'autres, au contraire, nécessiteront des molécules capables de calmer les ardeurs de leur système immunitaire.
Mais la complexité ne s'arrête pas là. Ainsi, il existe une grande variété de facteurs et de mécanismes impliqués dans les orages immunitaires : un médicament en ciblant un seul pourrait ne pas être efficace pour tous les patients, voire dangereux en permettant une nouvelle prolifération du virus. Il faudra donc tenir compte des particularités de chaque individu.
Un défi, car les outils pour bien caractériser les patients ne sont pas forcément encore disponibles. "Nous avançons en parallèle sur les traitements et sur les biomarqueurs qui permettraient de mieux prédire le pronostic et d'adapter la meilleure thérapeutique", assure Olivier Hermine, qui ambitionne de tester une douzaine d'hypothèses dans le cadre de l'essai Corimuno-19. Avec toujours la même urgence : "Si vous trouvez une molécule pour diminuer ne serait-ce que de 30% la mortalité d'une pathologie qui tue 1000 personnes quotidiennement, vous évitez 300 morts par jour".
Sans oublier une autre énigme, qui impose d'autant plus de rigueur scientifique et médicale avant de conclure à l'efficacité d'un traitement : pourquoi, y compris parmi les malades les plus gravement atteints, certains finissent par guérir sans aucun traitement ?